Parfaitement immobile, les yeux fermés et les jambes en position tailleur, il inspira profondément de manière à ralentir son pouls jusqu’à ce que celui-ci soit quasiment inaudible, les images s’effacent et laissent place à un horizon crépusculaire, au bord d’un lac dans lequel se réflétait le soleil couchant teinté d’un éclat orangé. Il avait le sentiment que son esprit s’était complètement détaché de son corps, le muscle de ses épaules se relâchaient pour se laisser transporter vers un ailleurs dont il était maître, maître de la nature et de ses éléments. Son regard vint frôler la surface du lac, la peau de ses joues se blottir dans les nuages de la voûte céleste, ses cheveux danser au rythme de la brise du printemps. Une vision d’une nature immaculée, un paysage aux traits pittoresques qui lui inspiraient la plénitude absolue. Aucun aléa ne venait perturber cette symphonie naturelle qui se jouait face à lui, ce qui lui permit de puiser au plus profond de sa conscience et s’affranchir du tumulte de la réalité.

Le soleil poursuivit sa descente, approchant la surface du lac jusqu’à être englouti. Abandonnant le paysage bucolique à l’infini des ténèbres, le vent devint glacial et son corps jusque-là parfaitement uni avec son environnement ressentait un frisson le parcourir. Le contraste devint de plus en plus prononcé quand sa vision s’obscurcissait et qu’il perdit toute notion de l’univers dans lequel il était dorénavant plongé. Il avait beau se concentrer de toutes ses forces, quelque chose venait de perturber l’équilibre. A l’horizon, le soleil avait laissé place à une lune albâtre et menaçante. Une silhouette opaque se dessinait au milieu de cette lune, et plus celle-ci se rapprochait plus celle-ci devenait familière… Sa respiration s’accéléra progressivement lorsqu’il crut reconnaître de qui il s’agissait. Était-ce une vision de lui-même? Un signe qu’il serait à l’origine de sa propre perte? Qui sait.

Ses paupières frémirent lorsqu’une goutte tomba dans le lac, créant une onde qui perturba la planitude parfaite de l’eau stagnante. Ses oreilles à leur tour réagirent à un bruit qui l’extirpa du monde spirituel pour le ramener dans le monde des vivants. Son esprit retrouva son corps et ses muscles retrouvèrent leurs fonctions, ses organes sensoriels lui indiquèrent la présence de quelqu’un. Cette personne n’avait semble-t-il pas remarqué qu’il était déjà dans les lieux, puisque que sa combinaison noire de jais se noyait parfaitement dans la moitié de la salle baignée dans l’ombre. La position du soleil ayant changé depuis quelques minutes, les rayons dévoilèrent finalement la position du Sabreur qui était assis en position de méditation, aussi silencieux et immobile qu’une statue.

Celui-ci tourna légèrement la tête en écoutant la kunoichi s’adresser à lui, se confondant en excuses pour avoir perturbé sa propre séance de méditation:

— Cet espace t’appartient autant qu’il m’appartient à moi, c’est-à-dire à ceux qui souhaitent se consacrer à perfectionner leur art. Si je puis me permettre, tu étais en train de pratiquer la méditation? Dans quel but?

Toujours le dos tourné au visiteur impromptu, il écoutait ses paroles avec attention, la partie métallique de son masque scintillait sous les rayons du soleil, révélant son “visage” de profil en plus de son dos. A écouter la voix de cette femme, elle était relativement intimidée par sa présence, signifiant qu’elle n’était pas du niveau d’un novice, mais qu’elle avait un minimum de perspicacité en ce qui s’agissait de jauger de la puissance des gens qu’elle rencontrait. Sa méfiance était une bonne chose de manière générale, même si elle n’avait guère à s’inquiéter des intentions de son interlocuteur masqué dont l’identité semblait lui échapper encore. Il lui avait demandé si elle était en train de pratiquer la méditation à l’instant et elle rétorqua qu’elle essayait de le faire mais en vain, du fait qu’elle perdait le fil de sa concentration en raison d’une charge d’information trop forte dans son esprit. Le Nobuatsu ne répondit rien pour l’instant, laissant planer quelques seconde de silence alors que la jeune femme réfléchit à ce qu’elle allait répondre au reste de la question, bien qu’il n’y avait aucun piège.

Lorsqu’elle déclara vouloir devenir membre du Grand Dojo de la Brume, le Nobuatsu pivota un peu plus son épaule, comme si cela venait de soulever son intérêt. Ainsi, elle souhaitait maîtriser la méditation afin de joindre les Sabreurs? Cette phrase laissa le chef de clan pensif quelques instants. Il décida finalement de se lever et se tourner complètement vers la dénommée Kayuri Namue, chûnin de la Brume dont le nom lui disait naturellement quelque chose puisqu’il consultait régulièrement les rapports de mission. Par contre, le fait qu’on ne le reconnaisse pas malgré sa combinaison noire n’était pas rare, puisque le shôzoku noir était le vêtement du ninja par excellence, bien que dans son cas le sien était de cuir et collait de manière quasi-parfaite à la peau afin de lui offrir un maximum de mobilité au combat. Quant à son identité, il préféra la garder secrète pour ne pas intimider davantage son interlocutrice, elle qui avait déjà l’esprit saturé d’informations, même si elle devait se douter de quelque chose. Il effectua une courbette avant de se présenter à son tour, en restant particulièrement évasif.

— Enchanté, Namue, chûnin de la Brume. Je suis… membre du clan des Sabreurs, et je peux t’aider à atteindre ton objectif, ouvre ton esprit et ton cœur, et alors rien ne pourra t’empêcher de devenir plus forte.

Il s’approcha de la gradée jusqu’à n’être qu’à quelques mètres face à elle, il prit une position assise de tailleur comme tout à l’heure et l’invita à en faire de même. Il prit d’abord une grande inspiration, puis expira lentement, laissant ses épaules se détendre mais toujours en gardant droite sa colonne vertébrale, ainsi que son cou. Les yeux fermés, les muscles détendus, ses mains posées sur les cuisses, il se laissa bercer par le silence sans donner la moindre instruction, en laissant la kunoichi deviner ce qu’il attendait d’elle. Après quelques secondes, il rompit le silence en laissant sa voix faire écho dans la pièce.

— La méditation n’est pas un exercice physique, il s’agit d’un travail spirituel. Un Sabreur doit maîtriser l’art de l’épée mais il doit aussi apprendre à travailler son esprit, car au bout de son apprentissage l’attend l’épreuve des lames qui est le vrai test pour savoir si un disciple mérite de rejoindre les épéistes de la Brume.

Pour avoir initié plusieurs apprentis ou disciples dans sa carrière, il était particulièrement bien placé pour savoir comment leur expliquer les bases de la méditation. Même si chaque individu l’expérimentait de manière unique, car chacun était composé de souvenirs et de sensations différentes, elle devrait utiliser ses mots davantage comme une métaphore que comme une méthode à suivre à la lettre.

— Ton esprit… est comme un lac troublé par plusieurs remous, plusieurs gouttes qui viennent propager des ondes qui t’empêchent à ton esprit d’atteindre la paix. Tu dois d’abord… affronter la source de ce qui te perturbe, quelle est la source de ce flot d’informations qui te torture? Alors seulement ton esprit sera suffisamment pur pour procéder à la méditation.

Si l’atout d’un épéiste d’excellence était de savoir vaincre tous ses adversaires, le combat de l’esprit n’était jamais qu’un combat contre soi-même, et rares étaient ceux qui parvenaient à atteindre un tel équilibre parmi les apprentis. L’équilibre entre corps et esprit.