Des mois s’étaient écoulés depuis la rencontre de l’augure avec son précieux animal du nom atypique de Chrysomallos. Tant de changements avaient frappé l’archipel de Mizu, comme l’enfant de l’os. Des joies, comme des peines. Des faits d’armes, comme des échecs. Mais il était indéniable que Sesshū avait évolué, jusqu’à atteindre le poste prestigieux de Prédicateur, un rêve utopique atteint après des années de quête personnelle et d’introspection, insufflé par la voix chevrotante de feu son maître Hiroko sur son lit de mort.
Entre ces deux moments, il y eut la Résonance. Un phénomène d’ampleur ayant bouleversé l’équilibre du chakra au travers du Yuukan, transformant tantôt des affins telluriques en statues de pierre, privant ensuite des shinobi d’élite de leur précieuse nature élémentaire, octroyant enfin à d’humbles paysans le pouvoir de contrôler le vent. Tout avait chu. Et le maître du Shikotsumyaku n’était pas en reste. Sa perte du Doton – le don inné de tordre la roche, la terre, la pierre, et le boue – l’avait marqué au fer rouge. L’augure n’osait plus sortir de sa demeure. Il désespérait en la vie et ses capacités. Et puis, dans une brève fenêtre d’espoir, il se mit à enquêter sur d’étranges signes inscrits dans le journal intime de son maître, le guidant sur une voie qu’il n’allait pas oublier de sitôt.
Au bout du chemin se trouvait Chrysomallos – le bélier à la toison d’or. Et de cette rencontre allait naître le nouveau Kaguya Sesshū, vénérable pilier de son clan.
Malheureusement, le temps avait passé, et les motivations de l’un n'étaient plus en accord avec celles de l’autre. Le bélier, qui demandait à sortir de son monde d’or et d’améthyste, de soleil et de lavande, ne désirait que le combat. Le Kaguya avait approuvé ce choix, à l’époque. Mais maintenant ? L’augure était devenu « Prédicateur » ; et son emploi du temps s’était retrouvé altéré du jour au lendemain. Après un long voyage jusqu’à l’île d’Uka, Sesshū revint sur ses pas, et retrouva la stèle lui ayant permis de tomber sur le domaine de Chrysomallos. Pour cette décision, il allait devoir lui parler en face à face. Lui expliquer pourquoi cette relation ne pouvait plus continuer. Lui présenter ses excuses – mais lui proposer le meilleur cadeau qu’un prisonnier pouvait recevoir.
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J’ai l’impression que c’était hier…L’augure posa sa main sur la stèle. Et, d’une brève impulsion de chakra dans le cœur du totem, il se fit invoquer dans l’autre monde.
Sans surprise, Chrysomallos rôdait à l’horizon, droit, conquérant, empereur d’un champ de lavande. Il lorgna dans la direction de la stèle, et aperçut Sesshū dans son nouvel accoutrement, cette longue tunique noire débordant jusqu’à ses genoux. L’animal s’interdit de faire éclater sa joie de revoir son maître, son compagnon, son ami, gardant un faciès neutre, mais la cadence de sa course trahit néanmoins ses véritables pensées.
— Gardien ! Que fais-tu ici, au cœur de cette prison austère ?
Le cœur de l'augure manqua un battement.
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Je suis heureux de te voir, Chrysomallos. Cela faisait longtemps.— Je commençais à craindre que tu avais oublié ta part du marché. J'ai besoin de me défouler ! Où sont tes batailles promises ? Ta volonté de briser vagues et montagnes ?
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Nous devons en parler.Le visage du bélier s'habilla d'une expression presque humaine.
— Non...
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Il est temps de nous séparer. Je ne peux être le Gardien que tu désires avoir. Mon clan a besoin de moi en vie ; je ne peux la miser sur le champ de bataille, malgré tout le plaisir que j'ai eu en ta compagnie. Mais ne vois pas cette séparation comme un retour en arrière, s'il-te-plaît. Ta servitude est révolue. Le Premier Gardien t'a enfermé ici ; je serai le Dernier. À toi d'embrasser ton destin. Tu peux rejoindre l'archipel de Mizu, et conquérir Yuukan. Ou tu peux rester dans ce domaine, et en faire le monde que tu désires. À toi d'être ton propre Gardien.L'enfant de l'os extirpa un long parchemin de sa poche de shinobi, qu'il déroula d'un geste de la main. Le tissu flirta avec la taille du bélier, aux innombrables noms inscrits dessus à l'encre rouge – ou, vraisemblablement, du sang. Au bout de la liste se trouvait celui du Kaguya.
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Jamais je ne pourrais assez te remercier pour ce que tu m'as donné. Alors que j'étais au plus bas de mon existence, tu étais là, toi aussi, pour me donner un coup de pied aux fesses, et me forcer à relever la tête. Je n'aurais pas survécu sans toi. Merci, mon intrépide ami.Sesshū perdit son regard sur le sceau inscrit sur son avant-bras.
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Je garderais précieusement cette marque, en souvenir de notre alliance. Ta longévité nargue la mienne, mais je te demande de ne pas perdre le fil de notre histoire. Rends-moi visite à la Forêt de l'os : je t'y accueillerais comme un roi.— Accueille-moi comme un frère d'armes, et je serais le plus heureux des béliers.
Les deux compagnons s'échangèrent un long sourire, sincère. Parmi tous les alliés que le Prédicateur s'étaient fait lors de sa carrière de shinobi, la créature avait été superbe.
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Chrysomallos : je te libère de ce pacte d'invocation.L'augure déchira brusquement le parchemin.