Une fois les chevaux attelés et les affaires chargées sur le chariot, la petite troupe se mit en route en direction de la capitale. Aucun logement en particulier ne les attendait sur place, mais la jeune femme avait accumulé suffisamment de ryos au fil de ses aventures pour s’en procurer un sans grande difficulté. Leur véhicule, dirigé par Noboru tenant les rênes des chevaux qui le tirait, semblait déjà en difficulté. Ce n’était pas dû au poids des bagages, qui semblaient au contraire bien restreints pour un groupe ayant apporté toutes leurs possessions, mais bien de la présence de Taiyô qui éprouvait à lui seul sa solidité.
Fuyumi voyageait quelques mètres plus en avant sur un autre cheval en compagnie de Yumi, assise devant elle. Cette dernière avait immédiatement saisi l’opportunité qui s’offrit à elle en partageant la monture de la jeune femme pour profiter d’un moment privilégié avec celle avec laquelle elle n’avait eu jusqu’alors que trop peu l’occasion de discuter. Au-delà de son exil à Tsuchi une décennie plus tôt, c’était là le premier voyage qu’elle entreprenait. Vivant habituellement recluse dans la forêt à proximité du village de la Roche, elle n’avait jamais eu l’opportunité de découvrir le monde et de vivre ses aventures. Il était donc naturel pour elle d’avoir développé une curiosité insatiable envers les histoires de son gardien et celles de Fuyumi. Pour l’Initiatrice, narrer ses actes passés n’était pas une tâche aisée. Elle se refusait de mentir à la jeune fille, mais elle ne pouvait pour autant relater sans retenu les actes horribles qui parsemaient son histoire.
L’interrogatoire qu’elle subissait prit soudainement fin lorsque l’attention de Yumi fut subjugée par la vision d’un animal exotique sur le bord de la route. Deux hommes dirigeaient un animal dont l’espèce était totalement inconnue à Fuyumi. Aussi haut qu’un homme et plus long qu’un cheval, le monstre gris ajoutait même à sa singularité la présence d’une corne imposante au milieu de sa gueule. Il était visiblement conduit à en direction d’une grande tente disposée un peu plus loin d’où gravitait toute une troupe d’individus. Les nombreux bruits, humains et animaux, provenant de l’endroit indiquaient que la bête n’était probablement pas la seule. Ce n’était pas la première fois que Fuyumi croisait la route d’un spectacle animalier, mais elle ne qu’être curieuse face à l’exotisme suggéré par cet avant-goût. Ce fut cependant Yumi qui laissa sa propre curiosité prendre le dessus en première, suppliant le groupe de faire un arrêt temporaire pour aller voir sous cette tente. Cela ne manqua pas de satisfaire l’amejine, qui n’osait pas retarder leur arriver en faisant la même proposition.
La dernière lanière solidement attachée, Amiko sut que le voyage vers Ame allait débuter. Elle avait été heureuse de revoir Taiyô et de rencontrer cette petite troupe. Cependant, l’idée de revenir dans le pays de la pluie était beaucoup moins plaisante pour elle. C’était sûrement pour cela que dès leur départ, la Sakki avait décidé de rester en retrait et de s’enfermer dans un silence mystérieux. Préférant laisser Fuyumi profiter de ceux qu’elle n’avait pas vu depuis des années, l’assimilatrice se disait qu’elle était bien mieux dans son coin.
Ses pieds chaussés glissaient avec lassitude sur le sol rocailleux qu’elle examina avec beaucoup trop d’intérêt. Elle maudissait chaque petit caillou qu’elle frappait, la rapprochant alors à chaque instant de Murashigure. Non loin d’avoir oublié ses nouvelles prises de conscience et son désir de justice, cela restait quelque chose de très difficile pour elle. Après tout, elle avait décidé de mourir dans ces mêmes rues qu’elle allait de nouveau arpenter, avant d’être délivrée par Fuyumi.
Soudain, alors qu’elle sautillait pour éviter un caillou plus gros, le convoi s’arrêta. Relevant enfin la tête, elle constata surprise qu’elle ne s’était pas rendue compte du bon vivant qui émanait d’une imposante tente et d’un bon nombre d’hommes et d’animaux. Son regard rose se posa sur l’étrange créature traînée par deux hommes. Sa singularité lui faisait forcément écho, se sentant elle-même différente de l’espèce humaine. Yumi exprima assez fortement son désir d’aller voir ce qu’il se passait là-bas, assez fort pour que tout le monde s’y intéresse. Soutenue par une Fuyumi curieuse.
Comment refuser cette supplication ? Plus loin, se trouvait la capitale d’Ame et mieux se portait Amiko. La brune aux mèches de feu s’approcha alors timidement et vit la fillette bondir du cheval, aidée par la manipulatrice de froid. Celle-ci s’apprêtait à courir vers la tente, puis s’arrêta avant de faire demi-tour et de se diriger vers l’assimilatrice. Sa main fut attrapée sans hésitation, tandis qu’un regard lumineux l’observait. Un sourire en coin se dessina sur le visage d’Amiko, tandis qu’elle se faisait traîner avec vigueur jusqu’au cirque itinérant.
L’amejin n’en avait jamais vraiment vu, et se prêtait au jeu de découvrir ce qui les attendait. Un moment hors du temps, où chaque être oublierait leur tracas le temps d’un instant. C’était ce que la jeune femme pensait, mais la vérité était bien plus sombre. Même dans les choses les plus simples et les plus curieuses, se cachaient de sombres secrets. Le spectacle n’allait pas tarder à commencer, à entendre les cris de l’un des hommes responsables. La douce eu presque de la peine de voir différents animaux attachés ou enfermés en cage, c’était un aspect qui allait contre la liberté qu’elle chérissait tant. Ces créatures, étaient-elles heureuses ainsi ?
Prenant place dans la tente, de nombreux bancs avaient été mis à disposition en cercle autour d’une scène destinée à la démonstration. Lorsque tout le monde fut installé, l’homme qui avait crié quelques minutes auparavant se présenta, vêtu assez étrangement, à tel point que cela fit rire Yumi. Il remercia son public et présenta la troupe “Taikun” ainsi qu’un programme brodé d'acrobatie et de démonstration animale. Tout cela avait l’air alléchant et Amiko restait en haleine, retenant son souffle et se tenant prête à vivre un moment unique.
Après avoir payé des places et pénétré sous la grande tente, le groupe s’installa rapidement dans les gradins au milieu des autres spectateurs. Seul Taiyô, n’ayant que trop peu confiance en la solidité de l’édifice, resta à l’écart du groupe. Debout et fixant ses compagnons, ignorant totalement ce qui se passait sur scène, le géant ressemblait bien plus à un agent de sécurité de la troupe qu’à un client. Adressant un sourire à son vieil ami, Fuyumi reporta finalement son attention sur l’annonceur du spectacle qui présentait l’événement.
Différents artistes enchaînèrent alors leur prestation, certains par leurs propres capacités et d’autres accompagnés d’animaux dressés. Les parties du spectacle étaient entrecoupées par des présentations sommaires d’animaux exotiques venus des quatre coins du continent. La plupart étaient simplement traînés en chaînes, incapables de réaliser la moindre figure ou simplement manquant encore de dressage pour une quelconque mise en scène. Peu habitué à ce genre de représentation, le public était conquis.
Absent depuis une bonne partie du spectacle, l’annonceur retourna sur scène sous les applaudissements de la foule alors que des bruits étranges commençaient à se faire entendre depuis l’extérieur.
— Mesdames, messieurs, un tonnerre d’applaudissement pour Taikun s’il vous plaît ! Vous en avez eu assez ? Quoi ?! Vous en voulez encore plus ? Mmmh…
Jouant avec le public dont les acclamations gagnaient progressivement en ferveur, l’homme faisait mine de réfléchir à une solution.
— Il nous reste bien un dernier numéro, mais je ne sais pas si ça va être possible. Ces animaux ont besoin d’encouragements pour performer et je ne sais pas si vous êtes assez motivés pour cela.
Alors que Yumi se mit à hurler à tue-tête, deux animaux massifs firent leur apparition sous le chapiteau.
— Arrivés directement des terres arides de Kaze no Kuni, autrefois membres d’une grande tribu, je vous présente Zouno et Hana, nos deux éléphants. Nous les avons sauvés de braconniers avides et sans cœur, mais ils sont encore un peu timides. Pour les aider à vaincre leur timidité et à leur permettre de se réaliser devant vous, nous allons avoir besoin d’un volontaire !
Sans attendre, Yumi bondit de son siège et leva sa main en criant, générant aussitôt de nombreux rires à travers l’assemblée avant d’être suivi par d’autres volontaires. L’annonceur fit alors signe à la petite fille de le rejoindre, lui aussi touché par sa vivacité.
— Nous avons la chance d’avoir la participation d’une grande fille particulièrement courageuse aujourd’hui ! Peux-tu nous donner ton nom ?
— Yumi ! Répondit-elle en descendant rapidement les gradins avant de monter sur scène.
— Quel beau prénom ! Est-ce qu’on peut applaudir Yumi ?
Alors que le public s’exécutait, la jeune fille trépignait sur place, arborant un grand sourire en saluant tout le monde de gestes du bras. Après des années passées loin de toute ville, perdue dans la forêt tsuchijine, il était raisonnable d’imaginer Yumi comme craintive de la foule et du bruit, mais elle exaltait face aux acclamations.
Les hommes qui dirigeaient les deux éléphants s’approchèrent alors du centre de la scène pour débuter leur représentation lorsque soudainement, une explosion retentit à l’extérieur. Une partie de la tente s’écroula alors recouvrant une partie du public affolé. Comprenant aussitôt que cela ne faisait pas partie du spectacle, Taiyô s’élança immédiatement auprès de Yumi, avant d’être violemment repoussé par le souffle d’une deuxième explosion bien plus proche de la scène qui projeta un nuage de poussière à travers tout le chapiteau.
Les deux pachydermes paniqués se libérèrent sans difficulté de leurs liens avant de s’enfuir, renversant sans difficultés les artistes et spectateurs sur leur chemin. Ne prêtant attention ni à la panique, ni à l’état de Taiyô, Fuyumi bondit à travers le nuage de poussière pour atteindre la scène. Privée de vision et n’entendant pas la jeune fille au travers des cris de panique alentours, elle réalisa une technique de détection de chakra. Elle reconnut aussitôt celui de son amie, accompagné d’une autre source plus faible, probablement celle de l’annonceur, ainsi qu’une troisième, bien plus conséquente. Si cela signifiait que Yumi n’avait pas été tuée par l’explosion, les trois chakras semblaient s’éloigner à grande vitesse vers l’Ouest.