La Voie du Bushido. Les arts samouraïs. Jurôjin n’en était plus à ses premiers pas. Son voyage atteint presque son point final. Il a travaillé son mental, à coup d’écrit des ancêtres, maître dans le domaine. La colère n’était plus la seule émotion dominante. Dans un certain sens, celui qui ne vivait que pour la perfection, à l’allure froid et hautain, est mort. C’est un homme, conscient de son profil, choisissant d’être proche de ceux qui l’entourent, plus vivant que jamais, pouvant faire autant de bons choix que des mauvais. Cela ne va pas dire qu’il relâchera son sérieux. Non, impossible. Simplement, qu’en prenant conscience de l’image qu’il donnait, il se devait de la travailler.

Il avait donc rencontré plusieurs intersections, où il devait faire des choix pour construire sa personne, pour bâtir son esprit, pour définir son Bushi. C’est ce que son maître, Hyûga Toph, lui avait demandé. Le jour où il se sentira ou sera certains de son Bushi, il devra revenir la voir, pour se confronter à elle. L’ultime épreuve pour mesurer et confirmer un samouraï. Il fallait donc continuer d’apprendre, de méditer, de progresser. Un autre point du discours de l’Intendante avait attiré l’attention de Jurôjin. Un autre élève, déjà connu, avance dans ce but. Un second jeune homme, semblant prometteur, souhaiterait devenir un énième samouraï à Iwa. Une occasion en or. Une rencontre serait intéressante. Un moyen de se comparer à un autre apprenti, mais également de faire plus ample connaissance. Il ne manquait plus qu’à mettre cela en place.

Une surprise, car là où le Chôkoku chercha un moyen de rencontrer le Nihito, une lettre lui parvenait. Le contenu était simple, mais suffisant. Les deux Chûnins souhaitaient la même chose, un intérêt commun qui ne peut qu’être bienfaiteur pour leur future relation. Sans chercher à lui répondre, Jurôjin se préparait, psychologiquement, puisqu’il y a bien longtemps qu’il n’avait pas pris le thé, encore moins quand celui-ci n’en est pas l’initiateur. En attendant la soirée, il continuait son travail, loin d’aimer flâner.

Une douce brise, un jeu de lumière entre terre et ciel, sans nuage. Un cadre qui en serait presque romantique. Jurôjin s’était même demandé avant d’y aller, s’il ne se trompait pas sur les modalités de la rencontre. En arrivant sur place, il voyait Meho, le regarde plongeant d’abord dans la vue étendue du village, puis sortant des outils pour allumer un feu, sûrement pour préparer la boisson chaude. Le responsable de clan montrait sa silhouette auprès des flammes.

« Bonjour Meho. J’espère ne pas t’avoir fait trop attendre. Puis excuse-moi de ne pas t’avoir répondu, j’avoue avoir été un peu débordé. »

Un sourire franc, signe aussi de son appréciation d’être présent. Il voulait tellement dire et faire pour comprendre où en étaient leur apprentissage respectif. Néanmoins il se retenait, ne voulant pas surcharger celui qui l’a invité, mais également pour bien commencer la discussion.

« J’ai appris auprès de l’Intendante que tu apprenais les arts samouraï. Etant aussi sous sa tutelle, elle m’a conseillé de venir échanger avec toi. Je comptais t’envoyer également un message mais tu as été plus rapide. Sache que je suis ravi de pouvoir te revoir, depuis l’examen. J’ai été témoin de ta force et je tiens à dire que tu attirais mon attention. D’une certaine manière, j’ai l’impression que nous nous ressemblons. »

Une pensée sincère. Deux grands acharnés, ne pensant qu’aux efforts et toujours aux efforts, mais avant tout attentionné.

« Aujourd’hui est une double chance pour moi, à la fois pour faire plus ample connaissance, mais également pour comparer nos deux apprentissages. »

Il ne cachait en rien ses deux objectifs de la rencontre.

A mesure que Jurôjin s’exprimait, Meho préparait le thé. Une petite dose d’impatience pouvait se sentir dans les paroles du jeune homme. A la fois pour déguster une bonne boisson chaude après un long moment sans, puis dans son envie d’aborder tous les sujets qu’il a en tête. Alors qu’il finissait de présenter les raisons de sa présence, l’initiateur de la rencontre nocturne reprenant la suite, expliquant aussi les modalités. Une première surprise était mise à la lumière de la lune. Le Nihito s’était entraîné à faire des infusions de feuille de thé, peut-être même à la manière de servir celui-ci. Il est vrai que le Chôkoku aime bien faire les choses le plus parfaitement possible, pour accueillir tout invité, faire dans l’hospitalité. Sûrement que Meho doit être dans le même état d’esprit. A se demander si cela était spécialement réservé à Jurôjin ou à n’importe qui.

Un point plus important était à élucider avant ça. Il s’avérait qu’il y avait un léger malentendu dans la compréhension de l’un des objectifs. L’invité ne pouvait pas laisser cela planer trop longtemps, sous peine de passer pour quelqu’un qui n’est pas forcément.

« Oh, je crois qu’il y a eu une incompréhension. Je ne parlais pas forcément de la nécessité d’une confrontation pour comparer nos parcours. Un échange verbal me plaît tout autant, surtout quand une grande partie de notre apprentissage revêtit d’un aspect philosophique. Puis, je suis très ravi de pouvoir boire un thé, même si j’avoue être d’habitude celui qui sert plutôt qu’être le servi. »

Le thé était fin prêt, signalé par les vapeurs s’échappant, l’ébullition du liquide et de l’odeur venant chatouiller les narines. La dégustation s’annonçait bien. Un amer regret de n’avoir rien amené commençait cependant à monter, indigne d’un invité. A corriger la prochaine fois qu’il se retrouveront. En attendant, la suite de l’interlocution arrivait. Une première phase concernait des excuses concernant le manque de communication après leur première rencontre à l’examen. La seconde aborde la curiosité de l’homme quant à ce qu’a réalisé l’ex Genin après cela et les raisons de son lancement dans l’art samouraï. Aucunement Jurôjin ne va refuser cette soif qu’à celui qui lui fait l’honneur de l’inviter, en lui servant du thé qui plus est.

« Ne t’excuse pas Meho, nous sommes dans le même panier finalement. Je n’ai ni revu Seika, ni Eishun également. Il faut dire que l’examen a été un moment difficile, je ne vais pas mentir. Même si j’ai pu accéder au grade supérieur, il est certain que mon échec a été blessant. Cela a été un tournant que j’ai voulu prendre immédiatement, à la suite d’un court échange avec l’Intendante à ce moment. »

Il soufflait sur le contenu de sa tasse, après un signe de remerciement pour avoir été servi, puis prenait une gorgée, dégustant et savourant cet instant qui lui semblait lointain. Il était disposé à tout expliquer après ce rafraîchissement, si on pouvait le dire ainsi.

« Ma volonté d’avancer dans la voie du Bushido n’est pas récente. Il y a presqu’ne année que cela se préparait. Je n’avais jamais pris l’initiative de me lancer pleinement, interrogeant et recherchant avant tout. Mais comme je l’ai dit, l’examen a été le moment où je me suis lancé. Je suis allé voir peu de temps après l’Intendante et dévoilé ma volonté. Je voulais qu’elle devienne mon maître. »

Il regardait le liquide, son reflet même dedans, comme s’il pouvait revoir son passé à travers. Depuis ce temps, la personne qu’il était avait bien évolué. Les chaînes et poids qu’il avait se sont brisés. Mais il lui reste encore tant à faire.

« As-tu d’autres questions à mon sujet ? Ne te gêne pas, je répondrai à tout, du moins, suivant le sujet quand même, » disait-il d’un ton amusé sur la fin.

De son côté il réfléchissait aussi à ces questions. Il ne connaissait pas du tout l’homme qui était en face de lui, seulement une partie de ses capacités. Que pouvait-il lui demander ? Une première question venait naturellement en bouche, mais autrement, que serait-il important de savoir sur lui ? Evitant un blanc dans la discussion, Jurôjin se lançait.

« Te concernant Meho, quel a été ton déclencheur ? Est-ce une volonté venant de loin, ou est-ce une prise de conscience récente ? Puis surtout, j’aimerais savoir, qu’est-ce que cela va t’apporter finalement ? »

Oui, le bénéfice de l’apprentissage, voilà ce qu’il voulait savoir. Apprendre est bien, mais savoir pourquoi est mieux. Sinon, un shinobi ne s’embêterait pas et apprendrait tout. Malheureusement, ce genre de méthode ne permet pas forcément de progresser, juste à se disperser dans ce qui est vraiment nécessaire.

Jurôjin avait répondu aux questions, sans trop rentrer dans les détails, mais cela semblait suffisant pour Meho. Lors de l’inversion des rôles, l’interrogé devenant l’interrogateur et vice-versa, le Nihito paraissait gêné, ou du moins, ce qui semble être un mauvais souvenir lui remontait en mémoire. Des tocs faisaient surface, l’invité observant bien les mouvements de main passant le long de la gorge puis du torse. Instantanément, le Chôkoku imagine bien les réponses qu’il va entendre. Bien qu’il eût présenté une bonne version de lui dans son envie d’entreprendre l’apprentissage des arts samouraïs, en détail, les raisons n’étaient pas aussi brillantes et honorables. Voyant plonger celui en face dans de lourds moments passées, il pensait bien pouvoir comprendre qu’en parler pouvait être plus compliqué.

Finalement, plus qu’un but commun de se revêtir de l’esprit Bushi, ils avaient des motivations premières sensiblement proches. La quête de force, Jurôjin l’a connaît. L’ombre d’un homme hautain, méprisant, intolérant, colérique, solitaire et cherchant à gagner toujours plus de puissance... Voici le fardeau qu’il portera à vie, marqué dans son existence. Même si fardeau n’était que temporaire et rapide chez le Nihito, pendant un moment, ils ont partagé cette émotion commune : la colère. Une manifestation qui a rendu leur vie compliquée, qui a failli les perdre sur un chemin tortueux. Ils avaient pourtant gagné quelque chose, un grade supérieur, mais cela ne suffisait pas à lever le voile de ténèbres qui brouillait leur esprit. Il fallait bien plus, bien mieux...

Dans les deux cas, l’envie de devenir plus fort les a emmenés à la même conclusion : se faire enseigner le Bushido. Ils se sont tournés vers la même personne, celle qui n’est plus à présenter dans le village, ni dans l’art du sabre. Il s’avérait que dans chacun des demandes, rien n’était gagné. Lorsque Meho expliqua la difficulté à devenir un élève de la Hyûga, Jurôjin se remémora la façon dont s’était déroulé l’entretien avec elle à ce propos. Bien que la demande ait été rapidement acceptée, un coup de pression avait été tenté, pour vérifier l’authenticité des convictions à arpenter la voie.

Le visage plein de compréhension, face à celui de Meho le regardant, aucun jugement n’était émis. L’homme avait même l’air de se juger lui-même, se sentant pathétique. Pourtant, lorsqu’il pourra prendre la parole, Jurôjin viendra modifier sa version et tentera de changer cet état d’esprit. Surtout après ses longues phrases suivantes. Bien qu’animé par la colère et l’envie de gagner en force au commencement, ce n’était plus le même esprit qui parlait et continuait le chemin. Le fardeau n’est plus. L’esprit est sain, tout comme le corps certainement. L’explication profonde avait certes répondu aux questions, mais elle avait avant tout libéré un peu plus l’apprenti de son lourd passé. Après une autre question, au sujet de l’avancée de l’apprentissage, le Chôkoku pouvait parler.

« Tu as parfaitement répondu. Mais avant de répondre à la tienne, je souhaite revenir sur ce que j’ai pu dire et ce que tu as mentionné. »

Il prend une gorgée du breuvage bien chaud, avant de poser la tasse sur le sol, pour joindre ses mains plus facilement ensuite.

« Encore une fois, je pense que tu te trompes dans ton jugement. Ce que j’ai dit, ce n’était que la surface de l’histoire. En profondeur, cela est plus sombre que tu ne le crois. Vu que tu as été honnête avec moi, je me dois de faire de même. »

Il attendait un signe, comme pour dire qu’il pouvait conter le récit de son aventure, le menant à la raison de sa présence ici.

« J’ai dit que ma motivation venait de loin, mais je n’ai pas précisé le but. Je voulais simplement, je ne peux le dire comme ça, devenir plus fort également. L’arme est plus fort que le poing, voilà une des raisons pour laquelle je m’entraînais au sabre. Dans la continuation, je voulais apprendre ces arts si respectés, si puissant des samouraïs. Avec une telle force d’attaque, mon champ d’action aurait été plus large. Mon profil aurait été meilleur. Gloire et pouvoir, voici ce qui me motivait. Penses-tu que cela est noble ? »

Une question rhétorique, car il n’attendait aucune réponse, mais une réaction, une réflexion sur l’image qu’avait Meho du Chôkoku et de lui-même.

« Je pense que peu importe ce qui t’amène sur la voie, si au final le fait d’y rester change, en devenant plus louable, cela ne peut dire qu’au fond, tu es une meilleure personne que tu ne le penses. »

Un sourire pour contrebalancer la petite mine qu’avait pu avoir son interlocuteur. Il reprenait alors sa tasse en main, pouvant revenir à la question.

« Mon apprentissage avance bien je dirais. Je ne coupe pas non plus le chakra simplement, mais j’y parviens. Le fait d’avoir appris en amont le Kenjutsu m’a bien aidé. La phase supérieure est de maîtrise l’art du Iaido. J’espère bientôt pouvoir l’apprendre de la part de l’Intendante. »

Il se sentait un peu gêné de dévoiler ainsi sa progression, avec la différence qu’il y a entre eux.

« Je pense que tu réussiras Meho. Non, tu ne peux que réussir. Selon moi, tu respectes les sept Vertues qu’on m’a enseigné. Ta motivation, bien que tu semblais déçu d’elle, s’est transformée. Ce que tu appelles une chute et finalement devenu un tremplin, pour mieux te construire ensuite. »

Des paroles réconfortantes, il espérait.

« En parlant des Vertus, j’avoue vouloir revenir sur l’une d’elle. Il y en a une qui m’a fait réfléchir. Si certes il y a de grands dirigeants, tel que l’Ombre du village et le Seigneur de ce pays, ma loyauté est compliquée à situer. Dire que je suis loyal à une personnalité n’est selon moi pas possible. Je ne suis fidèle qu’à une entité, Iwa et Tsuchi. Si je respecte les lois et ordres que l’on me donne, c’est parce que tout cela est pour le bien des habitants et du fonctionnement du pays. Or, s’il s’avère que je ne pense pas que cela ne profite ni à l’un ni à l’autre, je ne serais pas en mesure des respecter quoique ce soit. Loin de me dire rebelle, il faut avouer que certains choix politiques ne sont pas les meilleurs, que suivre le commandement sans broncher ne ferait de moi qu’un mouton en quête d’un berger. »

Un sujet qui intéressait Jurôjin. Lui qui ne souhaite pas être un pion, mais celui qui déplace les troupes, il voulait savoir ce que pouvait penser d’autres, notamment quelqu’un qui suit un enseignement similaire. Que comprenait-il de la Loyauté ?

« J'aimerais ton avis sur cette vertu, comprendre si selon toi, ce que je juge être ma loyauté n’en est pas une, ou du moins, une forme incomplète.  »